Le nouveau système de pêche à Boulogne: l'armateur
Parallèlement de grands comptoirs se constituèrent . 51 % des harenguiers envoyés en Écosse en 1868 appartenaient à 4 armateurs : Vidor, Huret-Dupuis, Bouclet, Ancel-Joly.

Les armateurs de la place, regroupés au sein du Comité des armateurs à partir de 1856, prirent connaissance des progrès réalisés à l’étranger lors des expositions internationales des pêches maritimes organisées à Amsterdam en 1861 et à Bergen en 1865 où leur président P. Lonquéty fut délégué par le gouvernement. En 1866, Boulogne servit de cadre à la troisième exposition de ce type.

Une première révolution technique se produisit dans les années 1870. Après plusieurs voyages en Angleterre, Joseph Huret fit construire un bateau sur le modèle britannique avec un nouveau gréement, en dundee, plus maniable que l’ancien, en lougre, et il embarqua des filets de coton à la place des traditionnels filets de chanvre. En plus, initiative personnelle, il fit installer un cabestan actionné par une petite machine à vapeur de 3 CV pour la manœuvre du train de pêche. Ces innovations se diffusèrent rapidement. La campagne d’essai du « Progrès » se déroula en 1870, l’année suivante 2 bateaux munis d’un cabestan à vapeur firent la campagne harenguière et en 1878 tous les navires se livrant à la pêche aux filets dérivants (hareng et maquereau) en étaient pourvus. En même temps, les filets de coton furent rapidement substitués aux filets de chanvre ; leur plus grande légèreté permettait d’allonger le train de pêche et d’accroître sa capacité de capture. Parallèlement la taille des navires grandit ; les harenguiers qui jaugeaient en moyenne 45,3 tonneaux en 1866-1868 atteinte.

L’innovation entraîna une rapide transformation dans l’organisation de la pêche. Le vieux système de l’écorage s’effaça. 
L’armateur propriétaire du bateau et des engins de pêche apparut à partir de 1873 ; la rémunération à la part subsista mais une part accrue était absorbée par l’amortissement du capital fixe.

Sur le produit brut de la pêche, l’armateur récupérait ses dépenses d’armement : sel, tonnes et avitaillement, et percevait une commission d’écorage de 5 % du produit brut ; sur le produit net il calculait l’amortissement du capital à raison de 3,5 parts pour le bateau, 1,5 part pour la machine à vapeur du cabestan et 0,5 part par lot de 10 filets. Le patron recevait 1,5 part et chaque matelot 0,5 part.

À partir de 1881 certains armateurs remplacèrent la demi-part par un salaire fixe ; sur 36 des 128 harenguiers, les hommes s’embarquèrent pour 90 F par mois.

Boulogne avait 335 navires à voile et 4 à vapeur en 1884 (note Annuaire de la Marine Marchande 1884 côte SGb 3639 Bibliothèque de l'Alcazar à Marseille)

C’est en 1894, que Louis Bouclet puis les frères Vidor, deux des plus importants armateurs de la place, firent l’acquisition, Outre-Manche, des deux premiers vapeurs : la « Ville de Boulogne » avec ses 196 tonneaux et sa machine de 390 CV et la « Liane » (136 tonneaux et 248 CV).

En 1903 le port comptait 30 vapeurs jaugeant en moyenne 192 tonneaux avec une puissance de machine de 316 CV. Dès lors la substitution de la vapeur à la voile fut très rapide. On ne construisit plus de chalutier à voiles à Boulogne après 1905 et on n’en arma plus après 1910. Alors qu’en 1894, on avait armé 84 harenguiers à voiles et 1 à vapeur, en 1913 on comptait 40 voiliers et 46 vapeurs.
La pêcherie toulonnaise se mit alors à l’heure du capitalisme moderne, conséquence de l’augmentation des investissements.

En 1902, les 7 grands voiliers mis en service coûtèrent 53 000 F l’unité et 340 F/tonneau alors que les 6 grands vapeurs neufs revenaient à 163 000 F chacun et 665 F/tonneau. Vers 1910, les grands chalutiers valaient 240 000 F.

L’entreprise individuelle ou familiale céda le plus souvent la place à la société.

Les Archives du Tribunal de Commerce ont conservé trace de 39 sociétés de pêche constituées entre 1881 et 1914 ;
16 d’entre elles étaient des sociétés en nom collectif avec un capital de départ moyen de 241 000 F,
16 étaient en commandite simple (206 500 F),
2 étaient des sociétés en commandite par actions (170 000 F)
5 des sociétés anonymes par actions (300 000 F à la fondation).

Les sociétés de personnes l’emportaient sur les sociétés de capitaux et si la modernisation de la pêcherie boulonnaise fut le fait d’entrepreneurs capitalistes, la pêche artisanale, avec son organisation traditionnelle, subsista.

À la veille de la guerre on comptait :
22 compagnies d’armement exploitant 92 navires dont 73 vapeurs,
30 armateurs exploitant 56 bateaux dont 45 vapeurs et
117 patrons propriétaires de 127 bateaux dont 108 voiliers.
Extrait de Histoire de Boulogne sur Mer, ville d'art et d'histoire sous la direction d'Alain Lottin chapitre IX un siècle de croissance économique (1815-1914) de Georges Oustric.