Le système de pêche traditionnelle à Boulogne:
l'écorage
Le système des pêches boulonnaises reposait sur l’association de la pêche harenguière et de celle du poisson frais assurant respectivement 45 et 50 % de la valeur totale avant 1850. La pêche à la morue, salée à bord des bateaux, n’assurait que 5 % de la valeur totale et occupait une position marginale. Les quelques goélettes envoyées en Islande d’avril à septembre, un maximum de 9 à 10 par an entre 1835 et 1839, jaugeant en moyenne 80 tonneaux, étaient armées le reste de l’année pour le cabotage.

Nous sommes mal renseignés sur la pêche du poisson frais. La grande saison des cordiers et des chalutiers, travaillant « dans la Manche toute entière et la Mer du Nord jusqu’au Texel » commençait en mars et était stimulée par « les besoins extraordinaires de la consommation pendant le Carême ».

Jusqu’en 1822, la pêche du hareng était réglementée ; la saison, commencée le 1er septembre, était close le 15 janvier. Les bateaux travaillaient à proximité des côtes et débarquaient le poisson frais ; la salaison se faisait en atelier.

Mais, à partir de 1822, sous la pression des pêcheurs du Calvados, la limitation de la campagne harenguière fut abrogée. Dès lors il devenait possible d’armer les harenguiers dans l’avant-saison et de les envoyer à la rencontre du poisson au large de l’Écosse. Pour pêcher ou acheter le poisson aux Britanniques et contrevenir ainsi à la législation des douanes ? Les deux en même temps semble-t-il.

De toute façon, jusqu’au début des années 1830, ce type d’armement resta limité. Il s’agissait d’un nouveau genre de pêche ; la salaison à bord entraînait un alourdissement de l’investissement : navires plus grands, sel et tonnes, avitaillement.

Ces entreprises de pêche associaient un capitaliste, souvent marchand saleur, avec un patron de pêche et son équipage dans le cadre du vieux système de l’écorage. 
Il existait, dès la première moitié du siècle, de véritables comptoirs d’armement. Six écoreurs armèrent 64 des 97 harenguiers (66 %) envoyés en Écosse en 1846, les 11 autres n’en armant que 33.

Les investissements restaient modestes ; vers 1850, un harenguier neuf coûtait entre 10 000 et 14 000 F.

L’écoreur avançait la somme nécessaire à la construction du bateau et, à chaque campagne, il se chargeait des dépenses d’armement : sel, tonnes, avitaillement et éventuellement « argent de mer » pour financer les achats de poisson.

Au retour de la pêche, l’écoreur récupérait sa mise et recevait 5 % du produit brut à titre de commission d’écorage. Le produit net était alors divisé en parts : 2,5 pour l’amortissement du bateau, 1,5 pour le maître de pêche, 1 pour les matelots embarquant un lot de dix filets mais seulement 1/2 part pour les marins sans filet, 1/4 ou 1/8 de part pour les novices et les mousses. « Les matelots oubliaient rarement de faire la part de l’infortune » ; les veuves embarquaient 1 lot ou 1/2 lot de filet et s’assuraient ainsi 1/2 ou 1/4 de part.

La demande limitée du marché d’une part, le recours généralisé aux achats d’autre part, n’incitaient guère les armateurs à innover.

De fait l’outil de pêche ne se modifia pas ; la taille des bateaux de la flottille armée pour la campagne d’Écosse resta, en moyenne, comprise entre 25 et 30 tonneaux avec un équipage de 12 hommes entre 1820 et 1850.

La croissance des apports est une croissance extensive ; le nombre de harenguiers s’éleva de 115 en moyenne dans les années 1820 à 182 dans les années 1830 et à 228 dans les années 1840, alors que la productivité stagnait.

On peut penser que l’armement d’un bateau n’avait pas pour but essentiel de donner un profit élevé mais davantage de procurer aux marchands-saleurs une matière première, transformée dans les ateliers, par salage ou saurissage, puis vendue. C’est là, au niveau de la commercialisation, que se situait la « spéculation », la recherche des profits élevés. Profits mal assurés toutefois ; les crises de surproduction entraînaient des effondrements de prix préjudiciables aux négociants.
Extrait de Histoire de Boulogne sur Mer, ville d'art et d'histoire sous la direction d'Alain Lottin chapitre IX un siècle de croissance économique (1815-1914) de Georges Oustric.